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un mince vernis de réalité

« […] Lorsque nous nous concentrons sur un objet matériel, où qu’il se trouve, le seul fait d’y prêter attention peut nous amener à nous enfoncer involontairement dans son histoire. Les néophytes doivent apprendre à glisser au ras de la matière s’ils veulent qu’elle reste au niveau précis du moment. Tranparence des choses, à travers lesquelles brille le passé !
Il est particulièrement difficile de ne pas crever la surface des objets donnés par la nature ou fabriqués par l’homme, objets inertes par essence, mais que la vie, insouciante, use beaucoup. Les néophytes s’enfoncent en fredonnant joyeusement et bientôt se délectent avec ravissement puéril de l’histoire de cette pierre-ci, de cette bruyère-là.
Je m ’explique : un mince vernis de réalité immédiate recouvre la matière, naturelle ou fabriquée, et quiconque désire demeurer dans le présent, avec le présent, sur le présent, doit prendre garde de n’en pas briser la tension superficielle.
Autrement, le faiseur de miracles inexpérimenté cesse de marcher sur les eaux pour descendre debout parmi les poissons ébahis.[…] »

Extrait de La transparence des choses de Vladimir Nabokov

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Un mince vernis de réalité, le livre coffret aux Editions Filigranes

L’inconscient prosaïque ou le goût des cadavres exquis, préface de Michel Poivert

(...) Geoffroy Mathieu, ayant au préalable mis une distance par le recours à un paysage de mer. Rapidement le couple qu’il forme avec un port et la figure d’un homme solitaire regarde du côté de la terre. Et c’est presque toujours dans l’alternance des états comme des éléments que l’artiste développe son univers poétique. Se répondent ainsi le module de terrassement à la géométrie parfaite et les degrés d’un emmarchement en perspective, l’obscurité redoublée d’une frondaison nocturne et le battement lumineux de deux bras de lampadaire, la chaleur d’une plage sauvegardée par son enrochement et l’éclat têtu de la posture d’un tout-petit. Une perspective marine dans le trapèze de tiges métalliques et la profondeur dissimulée d’un trou que recouvre une grille enfeuillée ; une paroi maçonnée que surplombe une frondaison, et une falaise en plongée sur laquelle un homme sombre. L’artiste parvient dans ses fraternités imagées à produire des images orphelines. L’enfance flotte et dérive, la femme est retournée et presque atone, l’architecture carcérale, les ouvertures dérisoires, l’issue amazonienne. Comment mieux dire le peu de sens que l’on accorde au langage ?
Le corps, la nature, la nature du corps, l’objet et le langage. Ce cadavre exquis s’est animé de la description du monde à partir d’images projetées de soi.

Michel Poivert